L'EPISODE DE LA MALGACHISATION :
Le gâchis
(à situer entre 1978 et 1985)
Le " livre rouge " soulevait la question de la langue
d'enseignement et apportait une réponse sans équivoque.
Primauté devrait être donnée à la langue
malgache. Même si Ratsiraka reconnaissait d'emblée
que le français allait être " pendant longtemps
encore " indispensable puisqu'elle sera la " fenêtre
ouverte sur le monde de la civilisation technique ". Cette
situation de bilinguisme forcé n'est que transitoire, et
le plus rapidement possible, le " malgache commun " doit
prendre le relais et sa primauté reconnue comme absolue.
LA MALGACHISATION, FER DE LANCE DE LA REVOLUTION SOCIALISTE
La malgachisation est une étape proclamée comme
capitale dans les " impératifs de la Révolution
". Dès l'accession au pouvoir de Didier Ratsiraka, la
machine à malgachiser se mit en marche. Selon les termes
du livre rouge : " malgachiser signifie, harmoniser le contenu
des méthodes d'enseignement avec les impératifs de
la Révolution ". Une loi de 1978, portant cadre général
du système d'éducation et de formation " met
en places des commissions destinées à élaborer
et à codifier le " malgache commun ", qui sera
en réalité une sorte de synthèse entre le malgache
" officiel " largement tiré du dialecte Merina,
et des divers dialectes régionaux. Cette même loi stipulera
que le français devait être désormais considéré
comme une langue étrangère.
En pratique, cela se traduisit par :
- l'adoption immédiate du malgache comme langue d'enseignement
dans le primaire étant précisé que le français
sera dispensé quatre heures par semaines à partir
de la deuxième année de scolarisation.
- Un programme de substitution progressive du malgache au français
dans l'enseignement secondaire, programme devant déboucher,
à terme , sur la malgachisation de l'enseignement à
l'Université. De plus les cours de mathématiques,
de physique, de chimie et de biologie devaient, dans les classes
terminales, être données en français. La première
promotion de bacheliers de ce moule " malgachisé "
date de 1983.
CONTRE LA FRANCOPHONIE
Didier Ratsiraka écrivait dans son " livre rouge "
: " nous sommes totalement opposés à ce mouvement
dit " francophonie ", car il a des relents de paternalisme
et de néocolonialisme que nous récusons ".
Cette affirmation est claire et sans équivoque, mais elle
peut être analysé dans son contexte, plus global. Celui
des lendemains de la décolonisation et des nouvelles formes
de coopérations entre La France et ses anciennes colonies.
Epoque pendant laquelle le discours anti-néocolonialiste
battait son plein, et tout ce qui ressemble, de près ou de
loin, à une ingérence étrangère était
à bannir.
Outre ce " grand projet " de malgachisation, Madagascar
quitte la Zone Franc pour couronner sa séparation d'avec
la France. Hormis les rares Zanatany socialement reconnus comme
tels, les français résidents et autres coopérants
sont devenus indésirables. La Francophonie était alors
perçu uniquement comme l'ultime manuvres d' "
impérialiste " pour continuer à dominer et à
asservir les pays nouvellement indépendants. Une sorte de
compensation, comme un palliatif au désir de soumettre, à
un complexe de suprématie. L'utilisation de la langue est
évidemment perçue par les tenants de la " révolution
socialiste " comme une soumission idéologique, un restant
de colonisation mentale. Il deviendrait alors difficile d'entamer
le changement sans repartir sur des bases linguistiques nouvelles.
L'ECHEC DE LA NOUVELLE DOCTRINE CULTURELLE
Le doctrine culturelle, marxiste-léniniste, révolutionnaire,
ne manquait pas de logique malgré le langage quelquefois
suffisant et passionné ; cependant dans ce domaine comme
dans tant d'autres, le succès n'a pas été au
bout du " tunnel " des efforts.
Il est nécessaire de souligner que les causes de l'échec
ne découlent pas du seul processus de malgachisation, même
si celui-ci en est le plus important vecteur .
La démocratisation voulue de l'enseignement a entraîné,
pendant plusieurs années, un laxisme regrettable concernant
l'accès au secondaire , le passage d'une classe à
l'autre, et enfin l'admission au baccalauréat. Faute de moyens
adéquats en professeurs, locaux et matériels scolaires,
la décentralisation a également contribué à
perturber le déroulement normal des études et provoqué
une chute importante de niveau. Selon certaines sources d'information,
autour des années 1980, les examinateurs auraient pour consigne
de se montrer plus coulants envers les élèves originaires
de la Côte qu'envers ceux des Hauts Plateaux ( ! ? ! ).
Pour en revenir à la malgachisation, s'agissait-il seulement
d'un accès de patriotisme, dû au fameux " complexe
d'anciens colonisés " ? Ou d'un véritable projet
culturel pensé et sensé ? On pourrait évidemment
soutenir l'une ou l'autre des deux hypothèses, tout est question
du camp choisi.
En tout cas, il nous apparaît assez clairement que la préférence
de la langue nationale comme langue d'enseignement, à la
lecture de la conclusion même de ce chapitre de la charte,
est un choix plus idéologique que technique, plus passionné
que réaliste.
Le tort des décideurs fût d'avoir privilégié
le souci d'un " utopique " renouveau idéologique,
voire psychosociale, au détriment de la formation de responsables
compétents.
L'avenir ?
En 1982 Ratsiraka opère un de ces tournants idéologiques
" mine de rien " dont il a le secret, en déclarant
au Figaro : " je suis fier de parler français, d'avoir
reçu une éducation en français. Je fais éduquer
mes enfants en français. Et je considère, quoiqu'on
en dise, que le français doit demeurer la seconde langue
officielle de ce pays ".
Ceci dit, rappelons que c'est le Corps enseignant malgache qui
dès 1980 tira la sonnette d'alarme, se rendant compte des
inconvénients d'une malgachisation trop rapide.
Il faudra attendre la première vague de " bacheliers
malgaches ", fin 1983, pour que le gouvernement s'émeuve
et que les choses commencent à bouger.
Des tests de niveau avaient démontré à l'évidence
que beaucoup d'étudiants étaient incapables de suivre
utilement les cours, et les tentatives de recyclage en janvier 1984
ne pouvaient donner que des résultats limités.
Depuis, toute une série de mesures ont été
prises : les heures de français à l'école ont
doublé, et des cours intensifs seront organisés dans
les centres universitaires.
Sur un plan plus général, il est intéressant
de noter que depuis 1985, la radio nationale a mis en place une
chaîne de langue française qui diffuse également
des émissions de RFI, La télévision a un journal
en langue française et 80% de ses émissions viennent
de Paris.
Nous sommes déjà loin du " bilinguisme circonstanciel
" du Livre rouge, qui consistait à proclamer le malgache
comme langue officielle et d'enseignement, et que le français
serait appelé à remplir une fonction transitoire,
et devrait être relégué au rang d'une langue
étrangère comme une autre.
Si nous sommes fatalement conduit à nous interroger sur les
perspectives d'avenir de ce bilinguisme rénové, il
serait hasardeux de vouloir donner une réponse définitive,
si ce n'est que cet avenir dépendra essentiellement de l'état
des relations franco-malgaches. Surtout qu'il ne faut pas oublier
qu'actuellement, l' " anglophonie " fait des yeux doux
au " marché linguistique " malgache. Divers instituts
et autres " cours de langues " étrangères
font leur apparition ici et là.
Toujours est-il que les idées et les hommes changent. Madagascar,
avec son " éternel " président, ne manque
plus aucun des sommets de la francophonie, et la cerise sur le gâteau
fut l'organisation en Août 1997 des IIIèmes jeux de
la Francophonie.
Ce qui nous laisse apparaître une réelle volonté
du régime de renouer, si ce n'est avec son " passé
", du moins avec cette langue qui fût autrefois celle
de la " mère patrie ".
Enfin, si Madagascar n'a jamais connu ce que c'était véritablement
le socialisme, il fût sans aucun doute l'un des plus grands
laboratoires où l'on expérimentait les recettes léninistes
notamment en matière de politique de l'enseignement.
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